Activisme de marque : les entreprises peuvent-elles avoir des sentiments?
En ce début d’année, c’est Gillette qui fait l’actu des marques activistes. La faute à son dernier spot publicitaire, qui oublie les rasoirs et s’attaque frontalement à la masculinité toxique.
Cela fait trente ans et des poussières que Gillette se vante d’offrir aux hommes « la perfection au masculin ». Mais, évidemment, en trente ans les choses ont bien changé. Et être un mec aujourd’hui est très différent de ce que cela représentait dans les années 1980.
Gillette a donc décidé de prendre position, et de se demander franchement ce que signifie être un homme à l’époque de hashtag Me Too.
En anglais, « la perfection au masculin » se dit « the best a man can get », le meilleur qu’un homme puisse avoir, ou devenir. Dans le spot, Gillette détourne son célèbre slogan pour se demander si les hommes d’aujourd’hui sont vraiment aussi bien que ce qu’ils pourraient être.
On assiste alors à une série de scènes pas très flatteuses pour la gent masculine. Des papas agglutinés autour du grill qui laissent des gamins se bagarrer parce que « les garçons c’est comme ça ». Un jeune cadre dynamique qui coupe la parole à une femme en pleine réunion pour reprendre ses paroles « en plus clair ». Des mains aux fesses. Des blagues sexistes. Vous voyez le genre.
Et Gillette exhorte les hommes à faire mieux que ça
Comme on pouvait s’y attendre, la démarche est loin d’avoir fait l’unanimité. Certains ont apprécié que quelqu’un dise enfin tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Qu’une marque aussi masculine que Gillette cesse d’encourager, ou au moins de cautionner les comportements détestables de certains hommes.
Qu’elle fasse le choix affirmé de mettre en avant une certaine approche de la masculinité où le respect et la compassion remplacent le sexisme et la violence.
Seulement voilà : de l’autre côté, il y a des hommes, et même quelques femmes, qui trouvent que ça fait chochotte. Ils se sentent attaqués dans leur virilité. Ils reprochent à Gillette de vouloir créer un monde de femmelettes. Et bien sûr, ils jurent qu’ils n’utiliseront plus jamais de rasoir Gillette.
Nike au milieu des tensions raciales
En Europe, Colin Kaepernick n’est pas très connu. Mais au Etats-Unis, ce nom a fait couler beaucoup d’encre. En pleine campagne électorale 2016, ce joueur de football américain met un genou à terre sur le terrain pendant l’hymne national joué avant un match, pour protester contre les violences policières visant les Afro-américains.
Ce geste fort, qui rappelle le poing ganté et dressé de Tommy Smith et John Carlos aux JO de 1968, déchaîne les passions. Le candidat Trump traite publiquement Kaepernick de fils de péripatéticienne. Achievement unlocked, comme on dit sur Xbox.
Mais son activisme coûte très cher au quarterback, qui n’a plus de club depuis deux saisons. Un complot de la puissante NFL, selon lui.
Et bien, en septembre 2018, Nike choisit Colin Kaepernick pour être le visage de la campagne de son trentième anniversaire. Sur un visuel qui devient rapidement culte, on voit le visage de l’ex-footballeur en gros plan, avec les mots : « Croyez en quelque chose. Même si cela vous oblige à tout sacrifier »
Comme le geste qu’elle rappelle implicitement, la campagne de Nike divise. Certains voient dans le choix de Kaepernick une attitude ouvertement anti-américaine, une insulte frontale à Donald Trump et à tous les patriotes.
D’autres encore reprochent à Nike d’avoir choisi le mauvais camp. De s’associer aux protestations contre les violences policières. De défendre les Afro-américains, de trahir les Blancs. Instagram et Youtube se remplissent immédiatement d’images de baskets et vêtements brûlés rageusement.
Et bien sûr, il y a l’autre camp. Il y a d’abord ceux qui apprécient de voir Nike faire un choix fort. Afficher une vraie personnalité. Prendre le risque de déplaire à quelques-uns pour en enthousiasmer d’autres. C’est à l’opposé de beaucoup de marques qui, en s’efforçant de ne froisser personne, deviennent fades et sans âme.
Enfin, pour ceux qui subissent des violences policières ou qui luttent contre elles, Nike devient plus qu’une marque de sportswear. C’est désormais un supporter de leur cause, un véritable compagnon de lutte. Une entreprise qui épouse leur cause. Désormais, ça sera à la vie à la mort entre eux et Nike.
Coca-Cola et l’Amérique d’aujourd’hui
Lors du Super Bowl 2014, Coca-Cola diffuse un spot très esthétique et émotionnel à la gloire de l’Amérique. Enfin, des Etats-Unis. En musique de fond, le célèbre America the Beautiful, hymne à la gloire des paysages majestueux, des grandes plaines sauvages, d’un peuple de pionniers courageux.
À l’image par contre, les cowboys, les chercheurs d’or et les trappeurs sont remplacés par des images beaucoup plus actuelles. Une femme qui porte le hijab. Des Hispano-américains qui s’amusent. Des juifs. Un couple gay avec un enfant. Et on entend les paroles qui passent de l’anglais à l’espagnol, puis à d’autres langues.
Le spot se termine sur l’affirmation que « La seule chose qui soit plus belle que ce pays, ce sont les gens qui y vivent. » Tous les gens, donc.
C’est une vision différente des clichés du rêve américain fondé sur la prospérité et le travail cher aux puritains. Là, Coca-Cola célèbre la diversité culturelle, la joie de vivre et une certaine insouciance.
Mais comme on l’a vu avec Nike, on ne rigole pas avec le patriotisme chez l’Oncle Sam. Et cette vision de l’Amérique ne plaît de loin pas à tout le monde. Sur les réseaux sociaux, on lit des réactions parfois très violentes contre le spot. Ou très passionnées en sa faveur.
La voie à suivre ?
Dans tous ces épisodes, il y a une constante. La campagne crée une rupture entre la marque et une partie de son public. Ce qui fait dire à certains observateurs que c’est complètement idiot.
Permettez-moi de ne pas les suivre. Oui, on risque de perdre des fans. Oui, on va peut-être même voir une diminution du chiffre d’affaires. Ou une baisse du cours de l’action. Mais ce sont des symptômes épidermiques, des problèmes à court terme.
A l’heure où tous les marchés sans exception sont saturés, je reste persuadé que la marque est un critère qui guide la préférence client de manière bien plus efficace que la course aux prix ou même les qualités intrinsèques d’une prestation.
Mais pour créer une préférence qui dure, inconditionnelle, il faut enthousiasmer. On ne peut pas se contenter de juste être « pas mal ». Et pour ça, pas de secret : il faut se profiler, s’engager ouvertement sur des aspects qui comptent pour le public.
Les pandas qui dansent sur Youtube et les concours sur Instagram, c’est rigolo un moment. Mais pour avoir une vraie personnalité, il va falloir s’engager sur des vrais sujets de société. Et attention, ça va piquer !
Sources
1 https://www.youtube.com/watch?v=koPmuEyP3a0